30 mars 2009

SAGA AFRICAINE

  • Aya de Yopougon - Marguerite Abouet / Clément Oubrerie - Bayou Gallimard


"Allez, coupez le son, refermez votre journal et oubliez un instant les rapports de tous les organismes à sigles. Toutes ces boîtes de Pandore qui ne cessent de nous commenter l'Afrique en nous accablant de chiffre, affreux, de courbes tristes et de coups d'État à répétition. L'Afrique, ce n'est pas seulement ça, et même, tenez-vous bien, si, si, je vous assure, mais si, puisque je vous le dis, c'est tout le contraire. L'Afrique ce sont des jolies filles très malignes qui vont gazer au "Ça va chauffer" ou au "Secouez-vous" et se laissent embrasser à l'Hôtel des mille étoiles pendant que d'autres s'enferment pour devenir médecin. L'Afrique, ce sont des papas qui s'appellent Ignace ou Hyacinthe et des mamans un peu guérisseuses sur les bords. A Yopougon en Afrique, Côte d'Ivoire, comme partout ailleurs (plus qu'ailleurs ?), on s'engueule, on se réconcilie, on rit, on pleure, on danse, on cherche une issue à tout ça et on offre du Nescafé aux sexy génitos".

Bienvenue à Yopougon, quartier populaire et hauts en couleurs d'Abidjan, pompeusement baptisé Yop City. Dans ce quartier, tout le monde se connaît, se fréquente, parce que chacun est le cousin - proche ou éloigné, réel ou fictif - de l'autre. Yopougon est comme une grande famille. Autour de Aya, gravite son petit monde peuplé de ses parents - Ignace et Fanta -, d'Adjoua et de Bintou, ses deux meilleures amies.

Aya est une jeune fille de dix-neuf ans qui a de l'ambition. Contrairement à ses deux amies, elle veut faire de longues études de médecine. Elle ne veut surtout pas finir en séries "C" - coiffure, couture, chasse au mari - comme la majorité des filles de son âge et de sa classe sociale. La grande difficulté est que son père ne l'entend pas de cette oreille. Les longues études sont réservées aux garçons. D'ailleurs, il a d'autres aspirations pour Aya. Il veut lui présenter le fils de son patron. Le pauvre
Moussa Sissoko est un idiot qui passe son temps à gazer dans les maquis de Yopougon, et à dépenser l'argent de son riche père, propriétaire des bières Solibra, celles de l'Homme fort !

A Yopougon, les jeunes filles flirtent avec de jeunes gars et se donnent des rendez-vous au clair de lune sur la place
du marché - l'hôtel aux mille étoiles - pour découvrir et vivre l'amour. Aya, elle, est une fille sérieuse. Elle ne cherche ni petit ami, ni mari. Elle ne veut que continuer ses études. Parce que Aya est intelligente, elle a compris que les études lui donneront l'indépendance et le droit de choisir sa vie. Et tant pis si les hommes lui courent après dans la rue, si Moussa Sissoko - le crétin - la trouve à son goût, si Hervé - le cousin de Bintou - en est secrètement amoureux, si Mamadou - le don juan de Yopougon - s'intéresse de près à elle. Aya viendra en aide à son amie Adjoua, tombée enceinte involontairement et obligée d'épouser cet imbécile de Moussa - le garçon le plus bête et le plus riche d'Abidjan - pour sauver la face.

Avec le tome 1 de "Aya de Yopougon" on découvre une autre Afrique, très loin des clichés servis habituellement par les médias ou les ONG. Ici, pas de guerres inter-ethniques, pas de coups d'État militaire, pas de pandémies, pas de famines. Non. Dans "Aya de Yopougon", c'est le quotidien d'un quartier de la classe moyenne d'Abidjan. Parce que, chassez de votre esprit qu'en Afrique les gens sont différents des Européens. Ils ont les mêmes rêves, les mêmes vies, les mêmes soucis, les
mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes espoirs. Sauf qu'en Afrique, il faut compter avec le poids des traditions, des mœurs, des usages persistants dans la société. Les filles sont surveillées, chaperonnées, encadrées par leurs frères, leurs pères. Seuls, les garçons ont des droits, celui de draguer dans la rue, de sortir le soir, de faire des études. Et quand ce joli monde ne marche pas droit, c'est avec des raclées pour tout le monde que cela se règle. L'homme - le père, le frère, le mari, l'amant - est le maître chez lui.

Dans "Aya de Yopougon" les riches sont très riches et très actifs. Ils aiment se montrer et étaler leurs biens pour frimer et impressionner par leurs relations politiques leur entourage. Les riches sont méprisants et arrogants. Corrompus aussi. Comme on les voit trop avec leurs vêtements parisiens, leur argent dépensé à tort et à travers, ils suscitent des convoitises. Les riches en Afrique veulent être comme les riches en Europe, respectés et influents.

Dans ce premier tome on y parle de la vie et de l'avenir des jeunes, des espoirs des parents, de l'amour aussi. On y traite des relations parents/enfants, homme/femme, mère/fille, mais aussi des guérisseurs, des faiseuses d'ange, des dangers et des risques de l'amour à l'adolescence. On y retrouve une Afrique belle, dansante et chantante, pleine de vie, de drôlerie, d'humour et de fantaisie. Une Afrique jeune qui veut vivre libre et indépendante, qui connaît les mêmes problèmes que partout
ailleurs dans le monde. Une Afrique qui tente de se fabriquer un avenir malgré les freins, nombreux.

Les dessins de Clément Oubrerie sont simples avec un tracé léger et aux couleurs chaudes comme le climat de la Côte d'Ivoire. En fin de premier tome, on trouve le lexique ivoirien, pour traduire le langage coloré et fleuri de cette savoureuse BD. On apprend en quelques lignes à comprendre la signification des motifs d'un pagne, à réaliser un cocktail de jus de gingembre ou une sauce d'arachide, ou encore comment draguer efficacement. En bref, ce premier tome de "Aya de Yopougon" est un vrai concentré de bonheur, de joie avec des petits bouts de mots et d'expressions typiques qui illuminent notre lecture.

Beaucoup de lectrices ont aimé, dont Saxaoul qui a adoré la fin, Tamara, Kathel est séduite par cette BD et la liste des fans continue sur le Blog-o-Book ...

27 mars 2009

L'ALLEMAGNE AU FIL DES SAISONS



"Il adorait le trajet en chemin de fer le long du Rhin, les méandre du fleuve, la rive tantôt riante et tantôt abrupte, les vignobles et les versants boisés, les châteaux forts et les petites localités, et les péniches, rapides à la descente et peinant vers l'amont. Il adorait ce trajet en hiver, quand l'eau du fleuve fumait dans l'air froid du matin et que le soleil luttait pour percer le brouillard, et en été, quand au grand soleil s'étalait sur l'autre rive, rassurant, ce monde de jouets miniatures qu'étaient les châteaux forts, les villages, les trains et les autos. Au printemps, il se délectait des arbres en fleurs, et en automne de leurs feuillages rouges et jaunes".


Extrait - "La circoncision" - Bernhard Schlink

24 mars 2009

MITTERRAND ET LES PARQUES

  • François Mitterrand "Ma mort tous les jours" - Léo Pitte - Bord de l'Eau Éditions

"L'autre soir, Jean-Christophe est venu me voir. Il m'a demandé : "Comment ça va papa ?". Je lui ai répondu : "Mon fils, j'ai mal comme un chien. Comme deux chiens même !". Je ne suis pas sûr de revoir Jean-Christophe avant de mourir, mais s'il revenait au moment où j'écris ce texte, je lui dirais qu'il n'existe pas assez de chiens au monde pour hurler aussi fort que je souffre. A cela il faut rajouter que mes jambes ne me portent plus. Le moindre pas est suivi d'une chute".

Cet homme qui parle ainsi de la souffrance se sait condamné par un cancer généralisé qui le ronge lentement mais sûrement. Cet homme est François Mitterrand. Homme politique adulé ou haï, mais qui n'a jamais laissé personne indifférent. Son rapport à la mort et à la maladie a toujours été prégnant dans sa vie, dès son adolescence. La mort dramatique d'un ami de collège le laissera longtemps dans le questionnement de l'Après. Son éducation profondément religieuse, avec une grand-mère très croyante et aux principes moraux stricts, a participé à cette fascination, cette quasi obsession de la fin de la vie. Sa montée à Paris l'éloignera provisoirement de cette emprise avec la
religion, la foi et son corolaire, la mort. Cependant, dans un sombre recoin de son esprit, François Mitterrand se créera un cimetière intime dans lequel il se réfugiera pour mieux y retrouver tous ceux et celles qu'il aimait, le temps d'un dialogue outre-tombe.

En 1939, la guerre embrase l'Europe et le monde et - avec elle -, encore et toujours la mort, cette grande faucheuse qui ne connaît rien ni personne et met tout le monde à égalité, les bons comme les mauvais. Plus qu'à aucun autre moment de son existence, il sera effrayé, hanté par la disparition. Pour lui. Pour les autres. Cette période déterminera sa volonté d'abolir la peine de mort
dès sa victoire présidentielle. "Vers quatorze-quinze ans j'appris les horreurs commises en 1916 et en 1917 ; je priai pour ne jamais être mobilisé un jour. J'avais, certes, peur de la mort au combat comme tout le monde. Mais l'idée d'abattre un soldat avant tout un homme, me terrifiait tout autant que celle de ma propre mort. C'était déjà en moi. Je ne pouvais pas tuer. Je n'aurais jamais su le faire, fût-ce sur un champ de bataille. Je n'aurais pu être président de la République avec un code pénal qui permît de décapiter un être au petit matin".

La libération lui ouvre des opportunités auxquelles il n'aurait sans doute jamais
songé autrement. Son engagement auprès des anciens prisonniers de guerre le décidera à entrer en politique, comme on entre en religion. Plus qu'une fonction, se sera un sacerdoce. 1945 sera aussi une année noire. La perte de Pascal, son premier né, le laissera désemparé, démuni, seul face à ses questions lancinantes et récurrentes sans réponse.

Les années 1950 seront âpres. Années de luttes politiques et de batailles personnelles où personne ne l'épargnera. En retour, il n'oubliera jamais ceux - partis et hommes - qui se seront acharnés contre lui. Considéré comme un traître à la République, se croyant
mort politiquement, François Mitterrand renaîtra de ses cendres après chaque coup reçu. Tel le Phénix, il tombera pour mieux ressusciter, reprendre corps et s'affermir.

Captivé par la mort, François Mitterrand sera aussi un hypocondriaque persuadé - à chaque symptôme anodin, à chaque annonce d'une maladie d'un proche -, être atteint de la même pathologie. Sans cesse, il se posera la question de sa propre fin. Cela deviendra une vraie réflexion existentielle. La mort de Georges Pompidou en plein mandat présidentiel le renverra à son propre devenir, croyant fermement à une communauté de destins. Dès lors, comment gérer au mieux cette situation qui fait que - dès que l'on a un genou à terre - même vos amis
deviennent vos pires ennemis. Comment éviter la rumeur, le doute, les on-dit ? Une fois connu son cancer, François Mitterrand le classera "Secret d'État", décidant de taire la vérité au nom de la sacro-sainte supériorité de la fonction présidentielle. Mais surtout, la peur de la fin le poussera dans ses retranchements, le forcera à accélérer ses réformes, à réorienter ses priorités politiques et à tenir deux mandats. "La sincérité promise sur l'état de mes viscères s'est donc vite noyée dans le probable usage politique que la droite aurait pu en faire. Politiquement, je n'avais pas le choix. Et je ne regrette pas d'avoir agi comme je l'ai fait. La révélation de ce second cancer dès 1981 aurait entraîné une crise de régime".

Léo Pitte n'ayant pas eu l'autorisation de publier ses recherches sur l'utilisation politique de la maladie a donc décidé de faire de "Ma mort tous les jours" une fiction sous la forme d'un journal intime. Écrit à la première
personne du singulier, l'auteur laisse parler son personnage principal - François Mitterrand - de la vie et de son rapport à la mort. Cette mort qui l'obsèdera tout au long de son existence au travers de ses expériences personnelles et professionnelles. Elle sera une compagne de route parfois discrète, parfois opiniâtre, mais toujours tapie dans un recoin de sa pensée, prête à ressurgir au moindre événement. La mort sera son tourment, son émancipatrice aussi. Cette réflexion permanente de la mort aidera François Mitterrand à construire le personnage politique qu'il est devenu. La maladie et la mort lui serviront de caution, de garantie, de faire-valoir auprès de l'opinion publique. Il saura habilement se servir d'elle, en user et en abuser parfois pour atteindre son objectif final, le pouvoir suprême. François Mitterrand a réussi à apprivoiser l'idée de la mort, à la dompter pour en faire un instrument de communication politique destiné à sensibiliser l'opinion, à l'attendrir. Plus que la maladie, ce qu'il voulait maîtriser était sa propre déchéance.

Avec un langage sec, tranchant et affûté, Léo Pitte fait raconter à François Mitterrand son étrange rapport à la mort et sa capacité à se servir d'elle pour arriver à ses fins. Sorte de Nicolas Machiavel du 20ème Siècle, il a joué sur le registre de la souffrance physique et morale pour régenter son entourage. On ressort de cette lecture avec un sentiment d'empathie, presque de sympathie, pour cet homme qui a passé sa vie à craindre la mort au point de vivre en bonne intelligence avec elle et à en faire son alibi pour combattre bec et ongles ses adverses.

Un grand merci à Sylvie qui a fait de ce roman un livre voyageur et m'a ainsi permis de lire un livre extraordinaire et fascinant. Elle pose un autre regard sur le roman et sa construction, mais aussi sur l'homme et son obsession.

21 mars 2009

L'APPRENTI ECRIVAIN

  • Paris ne finit jamais - Enrique Vila-Matas - 10/18 n°3979


"Je suis allé à paris au milieu des années 70 et j'y ai été très pauvre et très malheureux. J'aimerais pouvoir dire que j'y ai été heureux comme Hemingway, mais je redeviendrais alors tout simplement le pauvre jeune homme, beau et idiot, qui se dupait tous les jours lui-même et croyait avoir bénéficié d'une certaine chance en ayant la possibilité de vivre dans la mansarde crasseuse que lui avait louée Marguerite Duras au prix symbolique de cent francs par mois [...]".

Alors que Enrique Vila-Matas se rend à Barcelone pour participer à une conférence sur l'ironie intitulée "Paris ne finit jamais", il en profite pour revenir sur ses années de jeunesse d'apprentissage et de bohème à Paris. Passionné depuis son adolescence par la personnalité d'Hemingway, Enrique Vila-Matas décide que sa vie future sera calquée sur celle de son mythique modèle littéraire. Et quelle autre ville que Paris pour étudier la littérature, tenter de se rapprocher de son idole et ressentir les mêmes émotions intellectuelles et culturelles que celui-ci ? Après un premier séjour éclair, Enrique Vila-Matas reviendra à Paris pour deux ans, réussissant à se loger chez Marguerite Duras grâce à un ami commun. Sans vraiment le savoir ni le vouloir, Marguerite Duras sera celle qui lui permettra d'élaborer son style littéraire.

Ses débuts de futur écrivain désenchanté feront de lui un être pédant et insupportable. Pour cacher sa sensibilité profonde, il la masquera sous de grands airs
d'intellectuel, méprisant et arrogant. Parce que ce jeune homme a des ambitions. Ou plutôt, une ambition ! Celle d'écrire des romans, comme son maître à penser, Hemingway. Mais, très vite, ses faux airs d'aspirant-écrivain absorbé par son travail d'écriture, se transformeront en intellectuel engagé dans la lutte contre le régime de Franco en Espagne, puis - très rapidement -, en intellectuel dépité. "Je m'étais dit qu'être antifranquiste n'était pas grand chose et, influencé par les idées situationnistes, avec ma pipe et mes deux paires de fausses lunettes, j'ai commencé à me promener dans le quartier en prototype de l'intellectuel poétique et secrètement révolutionnaire. Mais, en fait, j'étais situationniste sans avoir lu une seule ligne de Guy Debord, dont j'étais donc partisan de l'extrême gauche la plus radicale, mais seulement à cause de ce que j'en avais entendu dire".

Avec le recul de l'histoire et la sagesse de l'auteur, celui-ci comprendra qu'il était naïf de croire à de telles fadaises. Se rendre intéressant en feignant de passer pour un intellectuel profond, se donnant des airs de poète maudit au regard de fou n'était pas une sinécure. Avec le temps, l'auteur comprendra que de feindre le désespoir n'était pas une fin en soi et qu'il valait mieux essayer de prendre les événements tristes du bon côté. Comme tout intellectuel qui se respectait dans les années 1970, Enrique Vila-Matas écumera les cafés du Quartier Latin, devenant ainsi une sorte d'exilé du célébrissime Café de Flore. Et pour tenter de forcer la chance, il errait - certains après-midis - devant le 27 de la rue de Fleurus, adresse de Gertrude Stein qui avait protégé et aidé le jeune Hemingway en son temps. " Parfois, en fin d'après-midi, si j'étais allé me promener et me détendre au jardin du Luxembourg, je faisais un détour avant de retourner dans mon quartier et passais devant ce qui fut, dans les années 20, la maison de Gertrude Stein, je passais devant le 27, rue de Fleurus. Je n'y allais pas, comme Hemingway, "attiré par la chaleur ambiante, les œuvres d'art et la conversation" mais parce que je pensais que ce détour pouvait me porter chance puisque, tout compte fait, Miss
Stein, par son côté protecteur, fut pour Hemingway ce que Marguerite Duras - supposais-je - était pour moi".

Avec "Paris ne finit jamais", Enrique Vila-Matas nous offre une promenade littéraire et artistique dans le Paris de sa jeunesse, empreint de poésie et de bohème, avec la protection d'un autre grand auteur amoureux de la capitale, Ernest Hemingway. Au hasard des pages, il n'est pas rare de croiser Marguerite Duras, devenue - le temps de son séjour parisien - la logeuse de l'écrivain espagnol, et sa conseillère littéraire. Maniant subtilement digression et ironie, l'auteur revient sur son parcours de futur jeune écrivain lorsqu'il voulait écrire un roman surprenant et original - "La lecture assassine" - qui devait entraîner la mort du lecteur ! Au cours de ses errances littéraires, on croise le fantôme de Francis Scott Fitzgerald à la Closerie des Lilas ou au Dingo Bar pour une conversation avec Hemingway où l'ironie s'invitait. Au cours de ses incises, Enrique Vila-Matas fait part au lecteur du pourquoi et du comment de la construction de son premier roman. Parfois intéressants, parfois longs, ces écarts permettent de mieux comprendre les difficultés rencontrées par les auteurs pour créer et imaginer leurs œuvres. On assiste - au cours d'une soirée pleine d'ironie mordante - à la rencontre entre l'écrivain espagnol et une jeune comédienne inconnue du grand public à l'époque, Isabelle Adjani, qu'il tentera de séduire sans succès. On découvre aussi que l'auteur s'est largement inspiré du "Ulysse" de James Joyce pour donner au texte de sa "Lecture assassine" un côté invraisemblable. Mais la grande question de toute cette période parisienne sera celle de savoir si Enrique Vila-Matas souhaitait réellement triompher à Paris et y écrire son premier roman
surprenant. En fait, la peur de ne pas connaître le succès escompté, de ne pas accéder à son rêve d'écrivain reconnu l'ont longtemps questionné. Au final, c'est un texte décousu, sans trame un peu comme un vagabondage à travers un lieu inconnu. On se sent un peu perdu, égaré dans ce texte où les divagations sont nombreuses, faisant des allers-retours nombreux entre des thèmes déjà abordés. On a du mal à suivre le cours de sa pensée et l'ironie, même si elle est présente dans l'écriture, n'est pas toujours une évidence. Il y a des allusions auxquelles le lecteur se sent trop souvent exclus pour pouvoir les apprécier.

Un article sur Le Matricule des Anges, l'avis de Clarabel qui a plus apprécié ce livre pour son auto-dérision, sa finesse et sa tendresse ... D'autres, peut-être ! Dites-le moi, je vous ajouterai.

18 mars 2009

FAGIN, LE JUIF SELON DICKENS

  • Fagin le Juif - Will Eisner - Delcourt Éditions


Tous les inconditionnels de Dickens qui ont lu "Oliver Twist" se souviennent de l'ignoble Fagin, portrait-type du Juif cupide et avide de richesse, méchant comme une teigne et exploiteur d'orphelins. De créer - involontairement - un personnage aussi caricatural que Fagin le Juif allait marquer pour de nombreuses décennies l'esprit des lecteurs et laisser une image stéréotypée néfaste et persistante du Juif en général. Et chacun de se souvenir de la communication terrifiante faite cent ans plus tard par les nazis.

Will Eisner, maître incontesté de la bande dessinée mondiale, a voulu montrer - à travers "Fagin le Juif" - que rien ni personne ne peut être réduit à un simple cliché, qu'il est nécessaire et impératif d'aller au-delà des apparences pour tenter de comprendre les comportements et attitudes de chacun. Pour cela, l'auteur part sur les traces de la véritable histoire de Fagin, le Juif d'Oliver Twist.

Moses Fagin entreprend de raconter son existence à Charles Dickens alors que celui-ci vient de terminer "Oliver Twist". Fils d'immigrés juifs d'Europe Centrale,
l'Angleterre sera pour nombre d'entre eux une terre d'asile accueillante ayant déjà intégrée les Juifs séfarades espagnols et portugais. Malgré la pauvreté et les difficultés d'intégration, l'avenir s'annonçait prometteur. Celui de Moses Fagin commencera dans la rue comme les enfants de sa condition. C'est avec son propre père qu'il s'initiera au vol et à l'escroquerie. Adolescent, le jeune garçon ne rêvait que de s'insérer en allant dans une école anglaise. Au lieu de cela, il sera expédié chez le Rabbin Cohen qui se chargera de lui ôter ses illusions sur son devenir.

Très jeune, il perdra ses parents comme souvent chez les pauvres gens de cette triste époque. Le Rabbin Cohen - homme charitable - lui trouvera une bonne place chez Mr. Salomon, riche marchand juif de Londres. C'est l'occasion pour Moses Fagin de découvrir que l'intégration passe par le baptême et les alliances politiques et économiques dans les grandes familles de la communauté juive. Et pour faire évoluer les conditions de vie des Juifs Ashkénazes les plus pauvres, la subornation s'invitait aux négociations. Devenu adulte, il sera chassé de son emploi trouvé par son bienfaiteur pour avoir osé tomber amoureux d'une jeune fille de la bonne société juive anglaise.

C'est ainsi que Moses Fagin, élevé dans la rue, retournera à la rue. Obligé de vivre, sinon de survivre, il s'associera avec des voleurs et détrousseurs de riches anglais. Cela lui vaudra d'être expédié au bagne pour dix ans dans une colonie
anglaise des Antilles et y être réduit à l'esclavage. Volé, exploité par des personnages cupides, Fagin pourra finalement rentrer à Londres grâce à un honnête capitaine de port qui s'occupera de ses papiers.

Retour à Londres et aux bonnes vieilles habitudes d'escroc et autres attrape-nigauds. Plus âgé, moins naïf, Fagin s'associera avec une crapule, Sikes. Il acquiert, au fil des années, une réputation de spécialiste des arts de la rue, achetant et vendant tout ce qui lui tombait sous la main. Surtout, Moses Fagin deviendra le refuge des gamins pauvres et abandonnés dans la rue. C'est à cette période que sa vie croisera celle du petit Oliver Twist, né et élevé dans un hospice où la tendresse n'est pas la règle. Pour justifier sa place, Oliver Twist doit travailler jusqu'à épuisement. Plutôt qu'une vie de misère, il s'enfuiera pour Londres où le hasard - ou la prédestination - lui fera rencontrer Fagin. Devenu pickpocket par la force des événements, Oliver Twist sera récupéré par Mr. Brownlow qui le prendra sous sa protection. Mais Fagin et Sikes - homme brutal et dangereux - ne l'entendent pas de cette façon. Ils doivent le rattraper pour le remettre dans la rue.

Du fond de son cachot, attendant l'exécution de sa sentence, Moses Fagin contera à Charles Dickens la fin de l'aventure d'Oliver Twist, et lui démontrera qu'il n'y a pas une et unique vérité, mais des vérités, que rien n'est absolu ou définitif, que personne ne détient la vérité vraie, et qu'il est important de comprendre les choses avant de les ériger en grands principes. "Je suis Fagin, membre d'une race noble bien que dispersée ! Les juifs qui survivent, souvent contraints par les circonstances, dans des tanières immondes et confinées, et la misère et la crasse, dans la nuit londonienne ne sont pas devenus voleurs par choix !".

Avec "Fagin le Juif", Will Eisner décide de refaire le parcours de vie d'un individu que tout lecteur d'Oliver Twist s'est pris à détester tant il était avare, intéressé, brutal et inhumain envers les enfants démunis des rues. Dans cette bande dessinée - qui alterne les dessins et esquisses en noir et blanc au crayon à papier -, les dialogues sont riches, nombreux, clairs et explicites. Elle reprend la situation économique, politique et sociale du 19ème Siècle en Angleterre, pays de la liberté d'entreprendre et de s'enrichir, de la réussite sociale, mais aussi celui de la misère extrême et des corsets sociaux. En effet, il était inconcevable qu'un pauvre jeune homme et une jeune fille riche - ou inversement - puissent tomber amoureux et se marier. De même, les jeunes filles riches et juives ne pouvaient faire des mariages riches ou aristocratiques que si elles se convertissaient au protestantisme. De petits paragraphes entre les chapitres
synthétisent les situations et introduisent ainsi les thèmes abordés dans la bande dessinée. Une postface, écrite par Will Eisner, explique au lecteur les raisons qui l'ont poussé à réécrire cette partie d'Oliver Twist, et à tenter de rétablir - partiellement - une vérité plus conforme à la réalité de l'époque.

Au final, on sort de la lecture de "Fagin le Juif" avec une autre perception de ce personnage
caricatural et malmené par Charles Dickens dans "Oliver Twist", vision sans aucun doute différente, nuancée et plus tolérante. C'est une très belle bande dessinée qui - au-delà du classique de Charles Dickens - nous montre à voir une société de miséreux et misérables qui n'avaient d'autres choix pour s'en sortir que le vol, le recel, la prostitution ... ou la chance !

14 mars 2009

BASHUNG, SALUT L'ARTISTE

  • La nuit je mens - Alain Bashung - Fantaisie militaire


On m'a vu dans le Vercors
Sauter à l'élastique
Voleur d'amphores
Au fond des criques
J'ai fait la cour a des murènes
J'ai fais l'amour
J'ai fait le mort
T'étais pas née
A la station balnéaire
Tu t'es pas fait prier
J'étais gant de crin, geyser
Pour un peu, je trempais
Histoire d'eau

La nuit je mens
Je prends des trains
A travers la plaine
La nuit je mens
Je m'en lave les mains.

J'ai dans les bottes
Des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho.
J'ai fait la saison
Dans cette boite crânienne
Tes pensées, je les faisais miennes
T'accaparer, seulement t'accaparer
d'estrade en estrade
J'ai fait danser tant de malentendus
Des kilomètres de vie en rose
Un jour au cirque
Un autre a cherché à te plaire
dresseur de loulous
Dynamiteur d'aqueducs

La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Effrontément

J'ai dans les bottes
Des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho.
On m'a vu dans le Vercors
Sauter à l'élastique
Voleur d'amphores
Au fond des criques
J'ai fait la cour à des murènes
J'ai fais l'amour
J'ai fait le mort
T'étais pas née
La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Je m'en lave les mains.

J'ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho.

La nuit je mens...


13 mars 2009

UN AMOUR SCARIFIE

  • La solitude des nombres premiers - Paolo Giordano - Seuil Éditions


"Alice imagina que ses doigts, puis ses bras et ses jambes bleuissaient. Elle pensa à son cœur qui battait de plus en plus fort, monopolisant le peu de chaleur qui lui restait. Elle deviendrait si raide que si un loup passait par là il lui suffirait de marcher sur son corps pour lui casser le bras. [...] Ses pensées étaient de plus en plus illogiques et de plus en plus circulaires. Lentement le soleil s'enfonça derrière le mont Chaberton comme si de rien n'était. L'ombre des montagnes s'étira sur Alice, et le brouillard noircit".

Alice et Mattia sont deux enfants pas tout à fait comme les autres. Alice et Mattia souffrent de la solitude des êtres à part. Alice refuse tout en bloc. Sa famille, les autres, elle, la vie. Mattia pâtit de sa sœur, Michela. Cette sœur différente, sa jumelle à qui il a tout pris in utero. Du moins, c'est ce qu'il a toujours entendu raconter autour de lui. Cette sœur qui est son sinistre prolongement, une autre part de lui-même et que tout le monde refuse d'avoir pour amie. Mattia se sent une obligation morale de porter ce fardeau, jusqu'au bout. Michela est sa croix, son double grimaçant, odieux, monstrueux. Michela est simple d'esprit. C'est Mattia qui
endure pour elle et lui l'ironie et la bêtise des autres enfants. Mattia n'en peut plus de Michela. Il la laissera un jour d'anniversaire dans un jardin public comme un oublie un objet sans intérêt ou un papier gras qui gêne. Il ne la reverra jamais plus. Sa disparition le fera basculer dans un autre monde, celui de la solitude, de la souffrance morale et de la culpabilité.

Alice est une jeune fille brisée par le manque d'amour filial, par son handicap. Parce que Alice boitera jusqu'à la fin de sa vie suite à un accident de ski. C'est son père qui voulait en faire une gagnante, une championne. Alice ne voulait rien. Elle n'aura rien. Elle n'a rien. Pas
d'amie, pas d'amoureux, pas de corps. Alice refuse de grandir, de s'alimenter, de vivre. Alice est anorexique.

Depuis la disparition tragique de Michela, Mattia est encore plus seul. Il voudrait mourir de cette solitude qu'il s'est créé, cette barrière
invisible qui l'empêche d'être comme les autres enfants de son âge, de communiquer. Si Michela était une handicapée mentale, Mattia est surdoué. Difficile, dès lors, de se sentir comme les autres, de s'intégrer au groupe. "Elle avait déclaré que Mattia avait un problème. Que Mattia était un enfant très intelligent, peut-être trop intelligent pour son âge. Puis elle avait invité ses camarades à l'épauler, à susciter ses confidences, à lui montrer qu'ils étaient ses amis. Mattia regardait ses pieds ; quand la maîtresse lui avait dit de prendre la parole, il avait enfin ouvert la bouche et demandé s'il pouvait regagner sa place".

Alice aimerait tant ressembler aux filles de son âge. Comme elles, Alice voudrait faire fondre les garçons d'un simple regard, avoir un tatouage énigmatique, être celle qui attise envies et jalousies de la part des autres, comme Viola Bai. A quinze ans, cette fille en a plus vu et vécu que l'ensemble des adolescentes du lycée. C'est à elle qu'Alice veut ressembler, s'identifier. Elle en rêve sans vraiment y croire parce que Viola Bai traîne derrière elle une réputation sulfureuse. C'est par son entremise qu'Alice et Mattia se rencontreront. "Alice sourit sans cesser de regarder le garçon à la main bandée. Il y avait quelque chose dans sa façon de baisser la tête qui lui donnait envie de s'approcher, de lui soulever le menton et de lui dire, regarde-moi, je suis là".

Alice croyant enfin son souhait d'adolescente normale exaucé, espère avoir trouvé en Mattia son double amoureux. A défaut d'un couple de tourtereaux adolescents, ils formeront un duo bancal entre amitié profonde et sentiments non consommés. Puis, de nouveau, l'entrée dans l'âge adulte, les choix d'études et de vie les sépareront provisoirement. Alice, tel un caprice d'enfant, voudra devenir photographe. Mattia et sa passion pour la rigueur mathématique, choisira de s'intéresser à l'arithmétique et à la fonction Zêta de Riemann. Bien sûr, de cette amitié amoureuse des sentiments naîtront, mal exprimés ou elliptiques. Mattia
partira à l'étranger fuir cet amour impossible avec Alice, se fuir aussi un peu et beaucoup le fantôme sa sœur, Michela. De son côté, Alice essaiera d'oublier Mattia, son enfance ravagée, son adolescence détruite dans les bras de Fabio. "Mattia. Voilà. Elle pensait souvent à lui. De nouveau. Il était une des maladies dont elle ne voulait pas guérir. On peut tomber malade d'un souvenir ; elle, elle était tombée malade de cet après-midi-là, dans la voiture, devant le parc, quand elle avait placé son visage devant le sien pour lui ôter de la vue ce lieu d'horreur".

On sort de la lecture de "La solitude des nombres premiers" avec un nœud dans l'estomac, presque une envie de vomir, tant l'existence d'Alice et de Mattia vous bouleverse. On les sent si fragiles face aux vicissitudes de la vie, si démunis devant leur triste expérience humaine que l'on a envie de les protéger, de leur venir en aide, de les soutenir. Parce que autour d'Alice et de Mattia, c'est tout un aréopage de personnages désabusés, clowns tristes, mythomanes, falsificateurs de la réalité qui gravite, les empêchant de vivre normalement, d'exister, d'être eux-mêmes, de se rencontrer. Alice et Mattia sont les deux facettes d'une même médaille, celle de l'enfance meurtrie, de l'adolescence sacrifiée, de l'adulte abdiqué. Leur incapacité
à communiquer, à s'avouer leur amour, à se dévoiler l'un l'autre et à laisser tomber le masque, les empêcheront de se retrouver pour vivre une histoire de couple, simple et belle. Dans une écriture âpre, sèche, nette et tranchante comme le scalpel d'un habile chirurgien, Paolo Giordano nous raconte la dérive de ses deux êtres faits l'un pour l'autre, mais qui ne feront que se croiser sans jamais oser s'arrêter de crainte de se dévoiler la réalité de leurs sentiments, de se laisser aller à vivre et à être.

Plusieurs avis sur ce roman, dont celui d'Aifelle, qui a été happée par cette lecture, même si elle a trouvé le ton de la narration sec, Cryssilda a aimé pour la pudeur des personnages, A girl from hearth a regretté l'absence de magie de la fiction, Yueyin l'a trouvé beau et triste à la fois, Hataway a trouvé ce roman touchant et réussi, pour Virginie cet ouvrage est beau et infiniment triste, Armande se souviendra longtemps de la fragilité des personnages. D'autres peut-être ... Faites-le moi savoir que je vous ajoute à la liste.

Et encore merci à Suzanne de
et aux éditions du Seuil pour cette belle découverte.

11 mars 2009

UNE HISTOIRE D'AMOUR ABRACADABRANTESQUE

  • La fille du professeur - Emmanuel Guibert / Joann Sfar - Expresso Dupuis Éditions


Imhotep et Liliane sont un couple d'amoureux dans le Londres de l'époque victorienne. Seulement, Imhotep IV est une momie qui a vécu sur les bords du Nil il y a quelques 30 siècles de cela et Liliane est la fille du professeur Bowell, célèbre égyptologue du British Museum. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que leur histoire d'amour n'est pas simple.

Imhotep est un personnage haut en couleur et pour le moins impétueux qui n'hésite pas à provoquer le commun des mortels après avoir avalé une simple tasse de thé. Il a pour bonne excuse de ne rien avoir eu dans l'estomac depuis plus de 30 siècles, et ce breuvage inoffensif le rend euphorique. Et lorsqu'il annonce au professeur Bowell qu'il veut épouser la belle Liliane, ce n'est pas pour réjouir le vénérable archéologue qui ne le voit pas sous cet œil. Pour lui, Imhotep n'est qu'un simple cadavre bien conservé - propriété du British Museum - juste bon à être exposé à public de curieux. Décidé à prendre Liliane pour épouse coûte que coûte et vaille que vaille, Imhotep l'enlève pour l'emmener au Caire - pays de ses origines - et en faire sa reine.

Et là, l'histoire se corse. Alors que nos deux tourtereaux désirent fuir Londres et son
brouillard pour l'Égypte et ses splendeurs, Liliane est soustraite par une seconde momie égyptienne qui a - elle aussi - connu en son temps le professeur Bowell lors de ses fouilles à Assouan. Entre-temps, Imhotep IV se cache chez Bartholomew Rodgers, antiquaire de son état qui l'aidera à échapper aux poursuites de Scotland Yard. De son côté, le professeur Bowell est fermement décidé à remettre la main sur la momie disparue, même si pour cela il doit examiner tous les embaumés du royaume. Imhotep IV fera tout pour retrouver sa belle fiancée et l'épouser, malgré les siècles qui les séparent et leur différence sociale. Il ne veut surtout pas commettre la même erreur faite dans sa vie antérieure. Surtout, en revenant parmi les vivants, il veut régler une (très) vieille affaire de famille avec son père, Imhotep III.

Toute l'histoire de "La fille du professeur" est une série de péripéties rocambolesques, drôle, pétrie d'humour dans le plus style british. Les personnages donnent le ton à cette superbe bande dessinée pour le moins originale dans le 9ème Art. Chacun d'eux est juste et finement travaillé. On y trouve la rigueur et la raideur anglaises chez le professeur Bowell, portrait-type du gentleman froid et distant qui a tendance à surprotéger sa fille Liliane en la laissant - volontairement -
dans l'ignorance de la vraie vie. Liliane, jeune fille élégante et un peu frivole, se révèle avoir un caractère bien trempé lorsque son père lui refuse le mariage avec sa momie amoureuse. On lui trouve même un petit air de Mary Poppins.

Dans cette BD à l'humour permanent et pince-sans-rire, on croise la reine Victoria, personnage hautain et détaché des événements qui sera prise en otage par Imhotep III - le père du jeune pharaon - et passée par-dessus un pont dans la Tamise pour avoir offensé le pharaon. Imhotep III et IV sont les personnages centraux de cette savoureuse bande dessinée. Ce sont eux qui lui donnent ce ton enjoué et facétieux par leur face à face constant. Imhotep III - le père - est devenu un vieux loup de mer, baroudeur et bagarreur qui n'hésite pas à exiger la main de la reine Victoria pour sauver son fils et Liliane de la Tour de Londres, alors que le fils est un être élégant et raffiné, parfait gentleman adapté à sa nouvelle existence. Les dialogues sont parfaits, plein d'ironie mordante, cynique à souhait. Tout au long de cette bande dessinée, on oscille entre poésie surréaliste, romantisme et onirisme.

"La fille du professeur" est une bande dessinée construite comme une pièce de Vaudeville avec son histoire d'amour absurde entre une jeune fille de la bonne
société londonienne et une momie libérée de son sarcophage. Et personne ne semble étonné de croiser celle-ci et ses bandelettes dans les rues de Londres. Dans cette BD très animée et aux multiples rebondissements, le lecteur retrouve l'atmosphère cocasse et burlesque des films muets de Buster Keaton. Les magnifiques dessins à l'aquarelle dans les tons de bleu profond, d'ocre et de sépia renforcent encore cette impression de vieux film qu'on ne se lasse jamais de voir et de revoir.

L'album a obtenu le prix René Goscinny du meilleur scénario et l'Alpha-art Coup de cœur du festival d'Angoulême à sa sortie.

C'est en allant sur le blog de Kalistina que j'ai eu envie de lire cette superbe BD et je ne le regrette absolument pas !

7 mars 2009

VIE ET MOEURS DE NOS DJINNS

  • Le fantôme de Canterville et autres nouvelles - Oscar Wilde (Librio 2€ n° 600)

Alors que M. Hiram B. Otis, ministre américain, se rend propriétaire du domaine de Canterville Chase, lord Canterville estime de son devoir de le prévenir de la présence d'un vieux fantôme dans les murs de la demeure. Un fantôme bel et bien présent depuis 1584 et qui apparaît toujours avant la mort d'un membre de la famille depuis trois siècles. Le ministre américain et sa petite famille n'a peur de rien, ni de personne. Encore moins d'un fantôme juste bon à être remisé dans un musée pour attirer une foule de badauds.

La famille à peine installée, voilà que les premières manifestations de Sir Simon de Canterville - le fantôme - apparaissent à l'heure du thé. Une tache de sang souille le sol depuis la nuit du meurtre de lady Eleanore de Canterville en 1575. Une empreinte soit-disant indélébile et qui impressionne tous ceux qui la voient. C'est sans compter sur la famille Otis qui ne croit pas à ces fadaises. Un coup de détergent et la marque disparaîtra ! Certes, la tache a disparu. Mais elle est réapparue dès le lendemain. Et ainsi les jours suivants. Pas de doute, le fantôme est bel et bien
présent et déterminé à les chasser, comme les précédents ! "Il effaça donc une seconde fois la tache, mais le lendemain matin elle reparut encore. Le jour suivant elle était encore là, bien que la bibliothèque eût été fermée à clef pour la nuit par Mr. Otis lui-même, et qu'il eût emporté la clef à l'étage. Toute la famille fut dès lors fort intéressée par cet événement ; Mr. Otis commença à soupçonner qu'il avait été trop dogmatique dans sa dénégation de l'existence des spectres, Mrs. Otis manifesta son intention de faire partie de la Société Spirite, et Washington prépara une longue lettre à MM. Myers et Podmore, au sujet de la "permanence des taches sanglantes lorsqu'elles se rattachent à un crime". Cette nuit-là, tous les doutes relatifs à l'existence objective des apparitions furent levés à tout jamais".

Et pour montrer qu'il était le seul maître des lieux, le fantôme n'hésitera pas à réveiller tout le domaine à grands renforts de chaînes rouillées. Cela ne perturbera pas plus les nouveaux résidents du château
qui lui offriront du lubrifiant pour huiler ses chaînes. Les jumeaux lui jetteront même un oreiller à la tête ! Maudits Américains ! Mais le fantôme de Canterville n'en restera pas sur un échec aussi cuisant, lui qui a su faire plier une cohorte de gouvernantes françaises au service de ses descendants, qui a frappé d'effroi la duchesse douairière et saisi de crise d'hystérie des servantes ou encore qui a poussé à la neurasthénie un recteur de paroisse. Foi de vrai fantôme de château anglais hanté !

Et pour se venger de tels affronts, rien de mieux que d'effrayer, de faire peur, frémir, mourir d'angoisse toute cette famille d'ignorants, particulièrement les jumeaux. Mais rien n'y fera, ni les bruits de chaînes ou les rires d'outre-tombe, encore moins les déguisements et autres accoutrements de Sir Simon de Canterville. "Il renonça dès lors à tout espoir d'effrayer jamais cette grossière famille, et se contenta, en général, de rôder le long des couloirs, chaussé de pantoufles de lisière, avec un épais cache-nez rouge autour de la gorge, de peur des courants d'air, et une petite arquebuse, pour le cas où il aurait été attaqué par les jumeaux".

Tout le monde ne trouve que des qualités au "Prince Heureux", la beauté, la gentillesse, la sagesse et l'amabilité. Cependant, le Prince Heureux est malheureux. Juché sur son piédestal, il voit et il entend toutes les misères de sa ville. Vient à passer une
hirondelle partant rejoindre l'Égypte pour y passer l'hiver au soleil. Le Prince Heureux lui demande si elle veut bien être sa messagère du bonheur pour aider de pauvres gens à supporter leurs malheurs. L'hirondelle, qui avait bon cœur et l'âme généreuse, accepte. Pour aider les plus démunis, le Prince Heureux n'hésite pas à se dépouiller de ses atours et demande à la petite hirondelle de les leur porter. "- Je suis couvert d'or fin, dit le Prince ; détachez-le feuille à feuille et donnez-le à mes pauvres. Les hommes croient que l'or peut les rendre heureux. Feuille à feuille, l'Hirondelle arracha l'or fin jusqu'à ce que le Prince Heureux n'eût plus ni éclat ni beauté. Feuille à feuille, elle distribua l'or fin aux pauvres et les visages des enfants devinrent roses, ils rirent et jouèrent par la rue". Et Dieu, dans sa grande mansuétude, les réunira pour l'éternité !

Parce qu'un géant refusait de laisser jouer les enfants dans son joli jardin, l'hiver allait s'installer chez lui pour très longtemps. Les feuilles refusaient de pousser, les fleurs de s'épanouir et les oiseaux de chanter. "Le
Géant égoïste" ne voulait partager son jardin avec personne. Mais, très vite, celui-ci comprendra que pour faire revenir le printemps dans son jardin, il doit le partager avec les enfants. Pour le remercier de ce partage, Dieu lui accordera de vivre éternellement au Paradis.

Alors qu'un vieux Rat d'eau se vante de mettre l'amitié au-dessus de toutes les valeurs morales, une Linotte lui raconte l'histoire de Hans le jardinier et de son "Ami dévoué", Hugh le meunier. Si Hans partage tous les produits de son jardin avec son meilleur ami, la réciproque est loin d'être vraie. "Parfois, cependant, le voisinage trouvait étrange que le riche Meunier ne donnât jamais rien en retour au petit Hans, quoiqu'il eût cent sacs de farine emmagasinés dans son moulin, six vaches laitières et un grand nombre de bêtes à laine ; mais Hans ne troubla jamais sa cervelle de semblables idées". Et si l'amitié est de tout donner, même de son temps pour certains, elle est aussi de tout recevoir pour d'autres.

Alors qu'un amoureux transi pleure sur son infortune sentimentale, un rossignol entend sa plainte. Pour pouvoir exaucer l'amoureux malheureux, le rossignol lui sacrifiera sa vie. Mais la demoiselle à qui est destiné la rose rouge est une ingrate
qui - aux beautés de la nature - préfère l'or des palais. Et l'amoureux, dépité, retournera à ses grimoires. "Il souffre tout de ce que je chante : tout ce qui est joie pour moi est peine pour lui. Sûrement l'amour est une merveilleuse chose, plus précieuse que les émeraudes et plus chère que les fines opales. Perles et grenades ne peuvent le payer, car il ne paraît pas sur le marché. On ne peut l'acheter au marchand ni le peser dans une balance pour l'acquérir au poids de l'or".

"Le fantôme de Canterville et autres nouvelles" d'Oscar Wilde est un petit recueil de nouvelles pétries d'humour anglais. C'est drôle, léger, chic et grinçant. Dans une écriture empreinte de poésie et de sensibilité, Oscar Wilde nous conte - à travers ces cinq histoires - les qualités et les défauts des hommes. C'est une satire de la
société de son époque, encore terriblement d'actualité. Au fil de ces nouvelles réjouissantes, on y retrouve - pêle-mêle - l'absence de croyances et de valeurs morales, la nécessité de distribuer les richesses, le don de soi et l'individualisme. Mais que l'on ne s'y trompe pas. Par-delà l'apparente légèreté du ton, Oscar Wilde critique sévèrement et cyniquement ses contemporains. C'est à lire où à relire pour le plaisir de découvrir une autre facette de cet auteur génial, à la fois esthète et polémiste.

L'avis de rats de biblio, de Lilly, de Sylvie du "Boudoir des livres", d'Allie ... D'autres, sans doute. Faites-le moi savoir, je vous ajouterai.

5 mars 2009

MON WABI-SABI SWAP !!



C'est Goëlen qui a organisé ce swap Japon. Ne connaissant presque rien - ou très peu de chose - de ce pays, je me suis dit que c'était là une occasion de commencer à m'y intéresser. Et j'avoue que depuis ma lecture du livre de Yoko Ogawa "La formule préférée du professeur", j'étais assez tentée de découvrir d'autres auteurs contemporains japonais.

Grâce à ce Wabi-Sabi swap, c'est chose faite ! Mais surtout grâce à ma jeune swappeuse, Thiphanya, je vais pouvoir découvrir les joies ... du manga ! Si, si ! Vous ne rêvez pas ! C'est une très belle initiation avec un manga que je ne connaissais absolument pas. "Le temps des cerisiers" de Fumiyo Kouno raconte l'histoire des conséquences d'Hiroshima. J'ai aussi reçu un superbe livre de Haruki Murakami, "La fin des temps", histoire entre merveilleux et réalité. Thiphanya m'a aussi envoyée un thé typiquement japonais, Genmaïcha, à base de riz torréfié et de maïs soufflé. La petite boîte rouge est magnifique et le thé à l'intérieur a une odeur délicate de thé vert. Quant aux petites gourmandises, elles ont été mangées depuis une semaine que j'ai reçu le colis. Mais place aux photos
de mon joli colis que j'ai (enfin !) pu prendre. Encore merci à Goëlen pour l'organisation de ce swap et à Tiphanya ma gentille swappeuse.





Pour info, ma swappée était TVless, une toute une jeune bloggeuse fan du Japon et de mangas ...

4 mars 2009

DE L'ART DE BIEN CHOISIR SON LIVRE



"Je trouvais incroyable à l'époque - et encore aujourd'hui - qu'une si grande partie de la clientèle qui traîne dans la librairie ne sache pas vraiment ce qu'elle cherche, mais vienne juste jeter un œil aux étagères avec l'espoir de tomber sur un livre qui répondra à son attente. Puis, quand ils sont assez futés pour ne pas croire au baratin de l'éditeur, il vous posent les fameuses trois questions : 1. De quoi ça parle ? 2. Vous l'avez lu ? 3. C'est bien ? Les vendeurs bibliophiles pur jus - comme Sophie et moi l'étions - sont incapables de mentir. Nos visages nous trahissent immédiatement. Un sourcil arqué ou un coin de lèvre relevé suffit à trahir le livre honteux, et incite les clients futés à demander autre chose. Nous les conduisons alors de force vers un opus précis que nous leur ordonnons de lire. S'il leur déplaît, ils ne reviendront jamais ; s'ils l'apprécient, ils seront clients à vie".

2 mars 2009

L'AFRIQUE SELON LE CLEZIO

  • L'Africain - J.M.G Le Clezio (Folio n°4250)


"J'ai longtemps rêvé que ma mère était noire. Je m'étais inventé une histoire, un passé, pour fuir la réalité à mon retour d'Afrique, dans ce pays, dans cette ville où je ne connaissais personne, où j'étais devenu un étranger. Puis j'ai découvert, lorsque mon père, à l'âge de la retraite, est revenu vivre avec nous en France, que c'était lui l'Africain. Cela a été difficile à admettre. Il m'a fallu retourner en arrière, recommencer, essayer de comprendre".

La première image retenue par l'auteur à son arrivée en Afrique est celle du Corps. Conscience du corps de son frère, de sa mère, le sien propre, celui des enfants du voisinage avec il jouait. Corps des femmes africaines surprises dans leurs faits et gestes quotidiens. Non pas un corps disgracieux ou même inquiétant au sens physique du terme, mais un corps en harmonie avec la nature, le paysage et les couleurs de ce continent sauvage et intransigeant.

Et pour cet enfant avide de savoir, de comprendre, d'apprendre et ayant déjà
l'instinct de l'écrivain, l'Afrique est aussi le continent de l'après, celui de la mémoire. Là-bas, une nouvelle vie allait commencer, riche de souvenirs, d'odeurs, de parfums, de fragrances, de bruits, de sons, d'horizons sans fin. Une Afrique ardente, exaltée, brute, primitive, puissante, pleine de résonances.

Mais l'Afrique, pour cet enfant élevé par et avec des femmes en vase clos, c'est aussi et avant tout son père. Médecin itinérant arrivé sur le continent africain en 1928, la rencontre avec cet homme usé, marqué, aigri et acrimonieux se fera en 1948. Et
pour mieux retrouver ce père méconnu - presque un inconnu -, J.M.G. Le Clezio partira sur ses traces, dans cette Afrique très éloignée des clichés habituels et des coloniaux caricaturaux.

Que serait devenu son père si, au lieu de demander un poste pour les colonies, il avait décidé de rester dans sa campagne anglaise ? Qu'aurait été l'enfance de l'auteur s'il avait vécu ses premières années aux côtés d'un père exigeant et autoritaire ? Aurait-il pu donner libre cours à ses fantaisies d'enfant, à ses humeurs de roitelet d'une maison conjuguée au féminin pluriel ? D'autres questions, nombreuses parce que irrésolues, taraudent l'auteur sur ce père incompris et
mystérieux. Celles concernant son départ de l'île Maurice d'où il était originaire et cette étrange sensation d'être un exilé permanent d'un lieu inaccessible et onirique. Avant le départ pour l'Afrique, c'est un interlude en Guyane à Georgetown, comme pour se préparer au grand saut dans le monde inconnu d'un continent farouche, instable et miséreux. Et un grand ennemi à combattre encore et toujours, la bactérie, le microbe, avec peu de matériel, pas de médicaments.

Ce père a toujours su garder son côté humble, circonspect et humaniste, passant son temps auprès des défavorisés de l'Afrique au point d'en oublier jusqu'à l'existence de sa propre famille, refusant de
facto le monopole des Blancs et leurs rêves de richesse, d'opulence dans un continent opprimé. Et l'auteur, lui-même, ne veut garder en mémoire que l'image de cette Afrique belle, sauvage et inaccessible pour les Européens qui ne savent la voir.

Dans une langue délicate et poétique, J.M.G. Le Clezio revient sur ses souvenirs d'enfance dans "L'Africain". On parcourt avec l'auteur la région d'Ogoja au Nigeria, peuplée d'Ibos et de Yoroubas et où les Européens étaient plutôt rares. Cette découverte de l'Afrique se fera par touches successives, passant par un apprentissage et une initiation à la vie. En filigrane de sa "vie" africaine, l'auteur -
pudique et secret - nous livre quelques bribes de son histoire personnelle, celle de sa famille en Europe, pendant la guerre. Parallèles où J.M.G. Le Clezio tente de comprendre l'existence de son père et de sa mère, séparés par la grande histoire et qui essaient de survivre pour mieux se retrouver. C'est une alternance d'écriture limpide et flamboyante quand il nous conte son Afrique et son émerveillement - continent éminemment beau - et d'écriture mélancolique et grave lorsqu'il évoque son enfance à Nice, sous les bombes et la menace allemandes. Avec "L'Africain", J.M.G. Le Clezio nous susurre son amour immodéré pour l'Afrique comme une complainte infinie.


Lu dans le cadre du Blogoclub de mars, les autres avis du club chez Sylire et Lisa.
Une étude intéressante des écrits de JMG Le Clezio par Julien, un des rares blog participant du Blogoclub.